justement, voici encore quelques éléments concernant ces
Sorbus... en fait j'avais fait part de cette discussion à B. Cornier, qui connait particulièrement bien ce genre, il souhaitait participer lui-même mais n'a pas réussi à s'inscrire
Donc je transmets son "petit" message :
- bien que les prises de vues ne montrent pas de feuille de près et à plat, et que les feuilles soient mangées par des insectes (ce qui n'est pas rare

), je pense que les premières photos qui ouvrent le sujet correspondent bien à S. mougeotii.
- S. mougeotii est une espèce hybridogène, c'est à dire ayant une (lointaine) origine hybride, à même de se reproduire par apomixie, et formant des populations dans les Vosges, le Jura, les Alpes, le centre-est du Massif Central et les Pyrénées; son aire de répartition occupe des zones en Espagne, France, Suisse, Allemagne et probablement en Italie; l'hybridation à l'origine de cette espèce implique bien S. aria et S. aucuparia; et non pas S. aria et S. torminalis, comme l'indiquent par erreur certaines publications). Il s'agit d'une espèce tétraploïde, mais non pas d'un autotétraploïde de S. aria.
- Je n'ai pas vérifié moi-même le critère de distinction entre S. aria et S. mougeotii basé sur les nervures rectilignes ou un peu arquées. Le caractère le plus net est celui de la lobation des feuilles de S. mougeotii, avec de petits lobes arrondis (on rencontre parfois des S. aria présentant une légère lobation, mais moins marquée et moins régulière); et en moyenne, le tomentum de S. aria est plus blanc (mais la variabilité de S. aria poserait problème si on se basait sur ce seul caractère).
- les photos de Chantaloup pour le Rocher de Soutron (Ardèche) correspondent aussi à mon avis à S. mougeotii. La deuxième photo est prise de biais, ce qui peut donner l'impression d'un tomentum plus dense qu'il ne l'est en réalité. Il est vrai que certaines publications oublient de mentionner le Massif Central pour S. mougeotii, ce qui est probablement du à son absence des grands massifs du coeur du Massif Central, en Auvergne (Cantal, Sancy, Cézalier, Monts du Forez, etc.), mais il est bel et bien présent dans les Monts du Velay-Vivarais autour de la région du Mézenc et du Gerbier de Jonc. Il abonde par exemple au Suc de Sara qui se trouve à 5-10 km du Rocher de Soutron.
- A quelle altitude ont été prises les deux photos de S. mougeotii "sur les contreforts de la plaine d'Alsace (Vosges)" ? Il s'agit bien en effet de S. mougeotii, mais dans la moitié sud de la France celui-ci descend peu en dessous de 900 m d'altitude, sauf quelques individus, à proximité immédiate de massifs montagneux > à 1000 m où il forme des populations. Mais il est possible que dans les Vosges il forme des populations à plus basse altitude.
- Malgré vos petites hésitations en comparant les photos, je pense qu'il s'agit bien tout de S. mougeotii (photos qui ouvrent le sujet, photos de Chantaloup, photos des contreforts de la plaine d'Alsace et photos du Valgaudemard), et non pas d'hybrides d'hybrides ou de "populations qui se mougeotisent". Sur une photo prise à contre-jour, le tomentum semble moins blanc que sur une photo ou le tomentum est pris de biais et en éclairage direct. La lobation n'est pas identique sur toutes les feuilles... et cette remarque vaut pour d'autres Sorbus. Les premières et dernières feuilles développées sur un rameau sont généralement moins lobées et plus alongées... Les feuilles des rameaux fleuris ne sont pas identiques à celles des rameaux longs. On peut par exemple trouver des feuilles de bout de rameau de S. torminalis (l'Alisier torminal) qui ne sont pas lobées... Meyer et al. (2005) ont quelques pages aidant à l'identification en invitant l'observateur à comparer ce qui est comparable (on compare les 3ème ou 4ème feuilles du rameau long d'un individu aux 3ème ou 4ème feuilles d'un rameau long d'un autre individu, et non pas à la dernière feuille d'un rameau court de ce dernier)... Sur le terrain, en ayant ça en tête, il n'est pas difficile en général de distinguer S. aria et S. mougeotii.
- Il est vrai qu'on trouve des individus présentant des morphologies étranges lorsque voisinent des populations de S. aucuparia, S. aria, S. chamaemespilus et S. mougeotii... Mais pas tant que ça, en général, proportionnellement au nombre d'individus assez faciles à rapporter à l'une ou l'autre de ces espèces. Et de fait, le mode de reproduction apomictique de S. mougeotii (et sa tétraploïdie... et son pollen relativement peu fertile) ne permet pas de supposer de fréquentes hybridations.
- Il est important de distinguer ce que vous appelez "hybrides "classiques" et d 'autres apomictiques." J'appelle les premiers : hybrides (ou hybrides occasionnels ou hybrides instables) et les seconds "espèces hybridogènes". La capacité à se reproduire de façon stable est une différence majeure, même si le mode de reproduction n'est pas sexué (lignées clonales), car la présence de populations durables a des conséquences sur la dynamique évolutive du genre (du fait de la faible proportion de pollen fertile). Par ailleurs, il n'est pas dit que toutes les espèces hybridogènes soient apomictiques... Il se pourrait que certaines espèces tétraploïdes soit aptes à une reproduction sexuée. De façon plus pragmatique il est intéressant de pouvoir nommer un taxon bien identifiable présent de l'Espagne à l'Allemagne, alors que nommer une des nombreuses formes d'hybridations représentée par un seul individu sans descendance n'a guère d'intérêt.
- pour éviter toute confusion, il me semble préférable d'éviter d'attribuer un binôme à des hybrides instables (S. hybrida, par exemple, malgré son nom, ne désigne pas des hybrides instables S. aria x S. aucuparia, mais une espèces hybridogène dont l'aire de répartition s'étend du sud de la Finlande à l'ouest de la Norvège). Je préfère désigner un hybride occasionnel par la simple formule d'hybridité : S. aria x S. aucuparia par exemple. En pratique, lors d'un inventaire, il vaut mieux signaler la présence d'un hybride supposé entre deux espèces que de chercher à lui attribuer un nom à tout prix (surtout s'il est isolé... s'il y en à plusieurs, la question mérite d'être creusée).
- aujourd'hui, il y a consensus en Europe pour rassembler les nombreuses espèces hybridogènes de Sorbus ayant la même (lointaine) origine hybride dans des "groupes". Le groupe de Sorbus latifolia par exemple rassemble toutes les espèces hybridogènes issues d'hybridations (lointaines) entre S. aria et S. torminalis. Mais il reste important de différencier les espèces à l'intérieur d'un groupe car les morphologies peuvent être très différentes entre espèces d'un même groupe.
- j'ai vu qu'il y avait sur le site quelques forums sur des "genres difficiles", parmi lesquels les Rubus... avec lesquels les Sorbus ont quelques points communs... Les genres difficiles sont nombreux

Bruno